Oublions le greenwashing et passons aux actes
Ce n’est plus une question de greenwashing mais une question de prise de conscience de la responsabilité sociale à tous les niveaux de notre industrie. Il y a une quinzaine d’années, on disait déjà que la consommation électrique annuelle d’un avatar dépassait celle de l’indien moyen. A une période où tout le monde devrait s’intéresser à réduire son empreinte carbone, nous assistons à une explosion de la consommation énergétique de notre industrie.
Aujourd’hui, la blockchain consomme plus que la nation Suisse. Les nouveaux services, utilisant des technologies auto-apprenantes hébergées sur des serveurs d’une puissance qui aurait fait pâlir d’envie les Cray de ma jeunesse, atteignent des niveaux de consommation jamais vus. L’infrastructure mise en place par un éditeur américain, en 2020, pour supporter des systèmes auto-apprenants, était le cinquième plus gros super calculateur du monde et le premier pour le cloud public. Les gros modèles de données peuvent demander plusieurs jours, jusqu’à un mois d’apprentissage intensif. Certains centres de serveurs de réseaux sociaux détournent l’eau des rivières et pompent dans la nappe phréatique pour refroidir leurs centres de calcul, au détriment des paysans. Si l’eau n’est pas perdue, celle pompée vide la nappe et les aéroréfrigérants évaporent une grande partie de cette eau, comme les centrales thermiques ou nucléaires qui produisent l’énergie utilisée. Du développeur à l’utilisateur, nous sommes tous responsables : derrière nos consommations, il y a des centrales à énergie fossile
Sans vertu, la compensation n'est que du greenwashing
La vertu carbone commence par en émettre le moins possible. Certes, personne ne niera que compenser les émissions de carbone par des plantations de forêts est une action positive. Mais l’action peut cacher la forêt, et quand elle est promue à grand renforts de marketing, personne n’est dupe, éventuellement vaguement déculpabilisé.
Serions nous vertueux, notre activité aura toujours un impact sur l’environnement en émission de gaz à effet de serre comme sur l’eau douce, sans oublier les terres rares et le lithium essentiels à la fabrication de nos machines.
Le sujet n’est pas soyons vertueux ou plantons des forêts mais plutôt soyons vertueux et permettons à notre monde d’exister demain. Si planter des forêts ne sera jamais critiquable, trouvons aussi des solutions qui prennent pas l’eau des autres.
Une prise de conscience du développeur est nécessaire
Il m’est arrivé de corriger le code de mes développeurs et de remplacer une centaine de lignes de code mal programmées et comportant des erreurs par cinq lignes efficaces et sans erreur. A fonctionnalité équivalente, un logiciel correctement développé consommera juste l’énergie nécessaire. C’est encore plus vrai sur les systèmes auto-apprenants. Au niveau d’un grand nombre d’utilisateurs, l’effort de programmation aura des répercussions bénéfiques sur la consommation. L’autre bénéfice, bien sûr, est une maintenance logicielle facilitée.
La vertu devrait être enseignée dans les écoles formant aux nouvelles technologies.
Une ligne de conduite pour l’éditeur et l’offreur de services en ligne
Combien consomment les vidéos de chats ?
L’utilisateur est aussi responsable, pourtant c’est lui, surtout quand il est Zoomer (personne de la génération Z), qui va faire la morale verte. Ma femme regarde et poste des vidéos de chats. J’ai renoncé à lui faire la morale verte. Il est vrai que ni elle ni moi ne sont Zoomers, nous sommes juste coupables mais pas responsables. Ce n’est pas parce que ces services sont accessibles, qu’il faut les consommer sans modération. Tôt ou tard les excès se paient, cette fois, tout le monde paiera.
Si les écologistes pouvaient monter au créneau pour responsabiliser les utilisateurs de systèmes numériques, sans les culpabiliser, on aurait fait un grand pas.
Faudra-t-il un code couleur comme sur les frigos ?
Comment un utilisateur responsable peut-il savoir si ses calculs, son avatar, ses requêtes sont vertueux ? Difficile. Les testeurs indépendants pourraient adapter leurs benchmarks de performance à la consommation énergétique, à matériel équivalent. Mais l’éditeur pourra toujours se défendre en rétorquant que l’architecture de la machine n’est pas optimale pour son logiciel. Et que dire de tous les serveurs développés à façon pour des sites Web ?
On se repose trop sur les performances du matériel
Il est toujours étonnant de voir les prouesses que les développeurs du programme Apollo avaient déployées pour faire tenir des fonctionnalités «rocket science» sur des machines qui feraient sourire le moindre Zoomer doté d’un téléphone. Malheureusement, avec la profusion de puissance et de mémoire, on se soucie moins du code. On empile du code fourni par des APIs et des frameworks sans rien maîtriser.
Qu'en dit Chat GPT?
Une fois n’est pas coutume, nous avons interrogé une technologie qui contribue significativement aux émissions de gaz à effet de serre.
A la question : « quelle quantité de CO2 a été rejetée pour répondre à cette question », Chat GPT, botte en touche par des généralités. Il répond également vaguement sur la quantité CO2 émise pour son apprentissage. Et si on lui demande si l’Intelligence Artificielle est un contributeur important à l’émission de CO2, il nous répond en substance que l’Intelligence Artificielle n’est pas en cause directement, mais que ce sont plutôt les serveurs. Bref, c’est la faute des autres, comme si je vous répondais, je ne rejette pas de gaz à effet de serre, c’est de la faute de mon automobile.
Toutefois, il nous a répondu que la consultation d’une page Web rejette en moyenne 1.76 g de CO2 par page vue, citant une étude de 2020 du « Carbon Calculator project ». Comme il existe de nombreux projets éponymes, je ne peux vous dire le projet auquel Chat GPT faisait référence. Comme Chat GPT me dit que selon les données accessibles jusqu’à 2021, entre 109 et 1012 pages sont consultées par jour. La simple consultation du Web rejetterait donc jusqu’à 1.760.000 tonnes de CO2 par jour!
Pour mettre ces chiffres en perspective, un méthanier QMAX a une capacité de 260.000 m3 , soit un peu moins de 110.000 t. La molécule de CO2 est 2.75 fois plus lourde que celle de méthane CH4. L’incendie d’un méthanier rejetterait, en arrondissant grossièrement, 300.000t de CO2. Dans la fourchette haute, le Web rejetterait ainsi l’équivalent en CO2 de la combustion complète, dans l’atmosphère, de 5 méthaniers en feu tous les jours. Certes, j’ai forcé le trait, mais c’est bon d’avoir des ordres de grandeur. Serait-ce 1 équivalent méthanier tous les 10 jours, ce serait tout aussi alarmant.
L’étage SuperHeavy de la fusée StarShip a une capacité de 800t de méthane. Au décollage, la fusée va donc produire 2.200t de CO2. C’est beaucoup, certes, mais ça ne représente que 1,25 109 pages Web vues, la fourchette basse de l’activité journalière. Notre consommation Web représente donc entre 1 et 1000 équivalent StarShip journaliers. La bonne valeur devrait se situer aux alentours de 200 à 500 StarShip journaliers. Ça repositionne le débat.
Revenons sur terre, pour SpringCurve, il est tout aussi difficile de connaître l’exacte consommation d’une session particulière. A vrai dire, à part le code que nous écrivons, les volumes de données que nous envoyons à chaque transaction, nous n’avons aucune idée des niveaux d’émission de carbone par transaction de notre hébergeur. Nous ne maîtrisons pas plus les volumes et la consommation générés par le framework et les composants que nous utilisons. Et comme tout le monde, nous sommes tiraillés entre créer des pages sobres et offrir une présentation attirante.
Comme tous les donneurs de leçons, nous ne sommes pas parfaits mais nous allons essayer de trouver une solution pour afficher cette empreinte. Grace à cette métrique, nous pourrons nous améliorer.
Si vous voulez aller plus loin, je vous recommande:
“Atlas of Ai: Power, Politics, and the Planetary Costs of Artificial Intelligence” de Kate Crawford
disponible en français: “Contre-atlas de l’intelligence artificielle: Une cartographie politique, sociale et environnementale de l’IA”
Hugues Sansen