Meme et sème
Forcément, vous savez ce qu’est un meme. Vraiment ? Mon correcteur orthographique ne le connait pas. Les memes que vous connaissez, vous savez, ces images que tout le monde s’échange massivement, sont-ils vraiment des memes ? Sont-ce vraiment les images que l’on s’échange ou le message, le symbole, le sème, qu’elles portent?
Ce néologisme aurait dû n’être qu’un exemple à la fin d’un livre sur la théorie de l’évolution, « the selfish gene » de Richard Dawkins, une histoire de gène dont le seul but, si tant est qu’il en ait, est de proliférer par réplication en compétition avec les autres, même ses doubles mutants. Dans l’idée de Dawkins, un meme est un mot, une idée qui prolifèrent parce que les humains les répliquent par mimétisme de ceux qui leur ont donné. Un mimétisme souvent inconscient. Des mots émergent dans certains milieux. En français par exemple, le mot ultracrépidarien a déferlé venant des anglo-saxons, bien qu’issu d’un texte latin de Pline l’Ancien évoquant un cordonnier qui devrait pas intervenir au delà de la chaussette. Ils sont des marqueurs sociaux qui rassemblent ceux qui se ressemblent et ceux qui y aspirent. Dès que le mot devient courant, il perd son caractère identitaire et un autre prend sa place.
Pendant que les intellectuels débattent, le meme prolifère
L’idée même du meme fut combattue par le paléontologue Stephen Jay Gould et d’autres brillants esprits, à l’exception de Daniel C. Dennett (« Darwin’s Dangerous Idea ») et de Susan Blackmore (« The Meme Machine ») qui s’en accaparèrent. Il est vrai que Gould et Elisabeth Vrba avaient trouvé le concept d’exaptation, l’idée que certaines fonctionnalités nouvelles apparaissent brusquement parce que tout était déjà présent dans les organismes pour qu’elles s’y développent. Ils avaient fait la constatation que de nouvelles espèces semblaient apparaître comme faisant rupture avec les prédécesseurs. L’exaptation porte en elle une préparation de l’existant à un nouvel environnement hypothétique, une flexibilité, à l’opposé d’un système rigide, que les entreprises nomment parfois agilité. Cette flexibilité, dirigée par l’épigénétique, mécanisme presque Lamarckien, tente de tordre le cou, pas celui de la girafe cette fois, à un beau modèle aux apparences presque trop simples.
Toutefois, le meme a fait flores. Il est vrai que pour nous, français, il a déjà presque le sens que lui voulait Dawkins, entre même et gène. Son sens initial a été tordu mais qui s’en soucie, il a juste muté pour s’adapter à mesure de son adoption. Meme est un meme en lui même et il l’est devenu grâce à la dissémination rapide permise par l’Internet et les réseaux sociaux et à la possibilité de nommer un phénomène social. Rien que pour cette raison, il a sa place dans nos mots de l’informatique.
Les memes peuvent nous reprogrammer
« Couvre toi, tu vas attraper froid ». Nous avons tous entendu cette phrase qui nous vient de nos parents et des parents de nos parents. C’est le meme de programmation mentale par excellence. Pourtant, Pasteur nous a appris qu’on attrape des virus ou des bactéries, voire des mycoses. En fait, beaucoup d’études ont démontré que ce meme était faux, ça jette un froid. Il se fonde sur la répétition et sur une observation simple : la confusion d’un symptôme initial, ici un frisson, pour la cause. Une fois le meme installé, sa remise en cause est difficile et chacun essaie de le justifier. Il est devenu une croyance vraie par mimétisme au groupe: la sagesse populaire. Ce mécanisme de pseudo évidence se retrouve dans la désinformation news qui prolifère sur l’Internet.
Même les créateurs d’un meme finissent par y croire, comme Dimitri Rogozin, ex directeur de Roscomos, qui perpétue l’idée que les américains n’ont jamais marché sur la lune.
Heureusement, il existe aussi de bon memes, sinon d’inoffensifs. Ils unissent les groupes et les sociétés et établissent une culture, voire une croyance, commune.
La marque de Darwin sur l'informatique
A part l’usage du mot, que peut le meme nous raconter sur notre métier ? Il peut, par exemple, nous rappeler que les algorithmes génétiques ont été une belle technique, longtemps une des reines de l’intelligence artificielle et qu’ils peuvent très bien revenir en force. Ils réapparaîtront alors, cachés sous de nouveaux atours marketing, sans que vous ne le sachiez. En revanche, il n’y a pas, ou pas encore, de neurone ou de mécanisme mirroir dans les neurones artificiels. Quand il y en aura, les systèmes auto-apprenants seront dotés de vraies capacités d’imitation. Un jour, ils s’échangeront des memes auxquels nous ne comprendrons rien. Pour Susan Blackmore, on pourra alors les considérer sentients.
Les memes vivent leur vie
Sans gêne, un mot, un adage, un vers, un symbole, une image porteuse de sens, prospèrent parce que, portés par le vent, il deviennent un même quand ils trouvent un terrain prêt à les accueillir. En s’implantant, ils acquièrent d’autres sèmes, ils entrent dans les dictionnaires en ligne pour se resemer à tout vent. Le meme est le véhicule qui porte le sème.
Hugues Sansen
