Un néologisme à la recherche de francisation
Les termes « AI prompter » et « prompt engineer » sont si récents, que nous n’avons pas encore de termes français officiels. On trouvera parfois « ingénieur de requête » ou « ingénieur d’invite ». Le terme anglo-saxon est quand même plus sexy et invite davantage à requérir une haute rémunération.
Les espagnols ont traduit « prompt » par « rapide ». Pour nous, c’est un faux ami. Si vous attendez une bonne réponse, poser une question à une machine est tout sauf rapide. Un « IA prompter » est un expert en interrogation d’un système à base d’intelligence artificielle auto-apprenante. On pourrait se dire que l’IA devrait être suffisamment intelligente pour comprendre ce que vous lui demandez. Que nenni. Il est vrai que lorsque vous posez, à un expert, une question mal exprimée, il vous donnera l’impression de répondre à côté ou ne vous répondra même pas. De même, si vous voulez obtenir une bonne réponse de la part d’un système à base d’intelligence artificielle auto apprenante, vous devrez souvent affiner vos questions pour obtenir la bonne réponse. C’est l’art du prompt. Pour obtenir une image fabriquée par un tel système, comprendre comment ce système fonctionne est essentiel. Toutefois, si pour une image, le résultat visuel est suffisant, pour un système de dialogue, il en va tout différemment : il faut aussi s’assurer que la réponse est à la fois pertinente et vraie. Elle doit être vraie au sens de vérifiable mais elle ne nécessite pas d’être falsifiable au sens du philosophe des sciences Karl Popper.L'art de la question
Soumettre une machine à la question est tout un art. L’inquisiteur des temps sombres ne s’intéressait pas toujours à la véracité de la réponse mais à la conformité de celle-ci avec ses attentes. Le danger est que l’inquisiteur moderne ne soit pas capable de la vérifier davantage, d’autant que la machine ne donne pas ses sources. Stephen Wolfram, le physicien à l’origine de Mathematica, raconte dans un entretien avec Lex Friedman, qu’il a posé une question sur les loups bleus. La machine lui a raconté une histoire si crédible sur les loups bleus du Tibet qu’il en a été subjugué. Mais après vérification, il n’a trouvé aucune trace de loups bleus sur l’Internet.
Autrefois, il y avait autrefois le terme « maïeuticien » pour définir un spécialiste des sciences humaines capable de soutirer le savoir d’un expert pour le formaliser sous forme de règles à destination de systèmes d’intelligence artificielle à base de règles. Mais qui s’en souvient encore ? L’ingénieur de requête, inquisiteur moderne, ne serait donc qu’un maïeuticien des sciences artificielles ? Ne vous précipitez pas, comme les maïeuticiens disparus dans leurs paradis artificiels, les ingénieurs de requête pourraient disparaître à mesure que les systèmes dits d’intelligence artificielle s’amélioreront et donneront leurs sources.
Heureusement, l’inquisiteur moderne peut torturer une machine sans se soucier de conflits moraux autres que ceux relatifs à la véracité de la réponse. Mais qui s’en soucie encore, pour autant qu’elle paraisse vraisemblable.
Comme souvent au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Les inquisiteurs modernes seront les rois, jusqu’à ce que vous réalisiez qu’ils sont nus quand vous ouvrirez les yeux et que les systèmes seront aussi simples à utiliser qu’un tableur.
J’aime le terme « inquisiteur » mais je doute qu’il soit repris, il ne fait pas assez « tech » et je crains qu’il soit un peu trop connoté. Verrons-nous des stagiaires de cabinets d’avocat se transformer en inquisiteurs pour préparer le réquisitoire d’un ténor du barreau? Il semble que ce ne soit déjà plus une fiction. J’imagine déjà un président de la république, au langage d’un autre siècle, préparer un discours tiktokisé à l’aide d’un outil lui permettant d’être parfaitement compris par l’auditoire ciblé.
Hugues Sansen