Le concept semble confus pour certains
Il m’est arrivé d’enseigner en école d’ingénieur et de participer aux jurys de soutenance de stage. Un futur ingénieur en informatique soutenait son rapport sur les réseaux à fibre optique et il a commencé par expliquer, sûr de lui, que la fibre optique était plus « rapide » parce qu’elle fonctionnait à la vitesse de la lumière. J’ai failli m’étouffer. Il semble qu’il avait plutôt mal assimilé un certain nombre de concepts qui sont pourtant simples, comme la notion de bande passante.
La fable revisitée du lièvre et de la tortue
Le premier concept sur lequel cet étudiant faisait erreur portait sur la bande passante de l’information que nous avons l’habitude de noter en Giga bits par seconde, bientôt Tbit/s, voire Pbit/s.
Imaginons un transporteur qui aurait 200t de sable à transporter sur 300km. Supposons qu’il ait deux solutions : une Ferrari, réputée rapide, capable de rouler à 300 km/h et une péniche capable de naviguer à 10km/h sur un canal parallèle à la route. Qui a la plus grande bande passante ? Si la Ferrari est capable d’emporter 200kg de sable, il lui faut bien évidemment faire 1000 allers-retours, qui lui prendront 2000h. La péniche quant à elle délivrera ses 200t en 30h, comptons 60h pour qu’elle puisse revenir à son point de départ. La péniche a une bande passante de 3,33t/h quand la Ferrari a une bande passante de 100kg/h.
La bande passante d’information est un débit, analogue à une fréquence. En revanche, en radio, la bande passante est la largeur fréquentielle utilisable de part et d’autre (généralement sur un côté seulement BLU) de la fréquence porteuse. Cette dernière ne mesure donc pas un débit d’information. Son débit d’information maximal est une image de cette bande passante.
La vitesse de la lumière
La deuxième erreur de notre étudiant portait sur la comparaison de la vitesse de la lumière par rapport à celle d’un signal électrique dans un câble. Si dans le vide, la vitesse de la lumière est d’environ 300,000 km/s, dans un autre médium, sa vitesse dépend de l’indice de réfraction du milieu. L’indice de réfraction des fibres optiques standard étant de l’ordre de 1.4, la vitesse de la lumière dans la fibre est donc de l’ordre de 214,000km/s. En revanche la vitesse de prpagation d’un signal électrique, disons une impulsion, dans un câble de cuivre est de l’ordre de 273,000km/s. Attention, c’est bien le signal et non les électrons qui se déplacent à cette vitesse, les électrons sont relativement très très lents, avec une vitesse de déplacement dans le cuivre de l’ordre de 0.2mm/s ! A haute fréquence, on traite d’ailleurs le signal comme de la radio. Dans les fibres optiques de très haute qualité, on atteint des indices de réfraction inférieurs, voire proches de 1 en laboratoire.
La fibre optique est meilleure, mais pas pour les raisons que notre étudiant énonçait
La fibre optique subit moins de perturbations que le câble. La seule perturbation possible, mise à part une rupture, serait de brusques variations de la gravité ou de l’accélération. C’est d’ailleurs sur ce principe que fonctionnent les gyroscopes optiques. Le vieillissement prématuré du polymère utilisé peut aussi influencer l’indice de réfraction. Moins ou pas de perturbations électromagnétiques dit aussi moins d’erreurs à corriger, donc moins de renvois de paquets comme sur le cuivre. Il reste cependant quelques perturbations électromagnétiques puisque qu’à un moment ou un autre, il y a de l’électronique.
Comme le câble, la fibre peut supporter plusieurs longueurs d’onde simultanées. Chaque longueur d’onde pouvant représenter un canal. Pour une longueur d’onde donnée, le signal est généralement porté par la modulation en amplitude de l’intensité lumineuse.
La lumière visible a une fréquence de l’ordre de quelques centaines de Tera Hz, 780 THz pour le bleu, 380 THz pour le rouge. Avec cette fréquence de porteuse, il est possible d’émettre des impulsions à une fréquence de quelques dizaines de THz. Imaginez ce que ça peut être dans l’ultraviolet. Ainsi, la fibre permet une plus haute fréquence des signaux que sur le câble. C’est cette haute fréquence de signaux qui apporte le gain en performance de débit par rapport au câble électrique.
Un faisceau de fibres optiques est aussi plus fin que son équivalent en cuivre, ce dernier étant touché par la résistivité du métal.
La fibre permet également d’émettre des paquets de photons intriqués avec d’autres conservés par l’émetteur. Cette technique permet à l’émettrice, Alice, de s’accorder avec le récepteur, Bob, sur une clé de chiffrement temporaire sans que Charlie puisse interférer. C’est ce qu’on appelle, improprement, le chiffrement quantique, la communication en elle même n’ayant pas recours à l’intrication, juste à la clé de chiffrement choisie entre les deux parties. Malheureusement, l’intrication ne passe pas encore les répéteurs. Si elle le faisait, Charlie pourrait interférer. D’où l’intérêt de fibres avec un indice de réfraction proche de 1.
Mais là c’est une autre histoire que notre étudiant n’avait même pas osé aborder. Au passage, un émetteur radio émet aussi des photons, de la longueur d’onde du signal. Eh oui, je me suis encore étouffé quand un expert expliquait qu’un émetteur radio émettait des électrons. Il est pardonné, le reste de son exposé était de qualité. C’est sur un principe analogue à l’accord sur la clé de chiffrement entre Alice et Bob que fonctionnent les radars quantiques imaginés par Marco Lanzagorta. J’ai un peu débordé mais le sujet me brûlait les doigts, normal quand on traite de technologies « digitales ».
Il fut un temps où, pour transférer de grandes quantités de données d’un point à un autre, on se passait des bandes faute de bande passante. Maintenant on se passe de bandes au profit du réseau.
Hugues Sansen