Vous avez dit intelligence ?
Combien de fois n’ai je pas entendu cette remarque depuis que j’ai commencé à tremper dans l’intelligence artificielle, il y a bien longtemps. Généralement, j’y réponds par : « Si vous me donniez une définition de l’intelligence, nous pourrions comparer les deux ». En réalité, il n’y a toujours pas de définition absolue de l’intelligence. Le problème avec l’intelligence, c’est que nous savons la reconnaître mais personne ne peut en donner la définition. Même l’étymologie ne peut pas vraiment nous aider. Mon dictionnaire latin-français, le Gaffiot que j’ai gardé depuis la troisième, me dit que « legere » signifie cueillir. Je vois bien le sens pour un service de renseignement qui irait recueillir des informations, mais de la à voir ma tête peinte par Giuseppe Arcimboldo et d’y cueillir les fruits de mes réflexions, j’ai un peu de mal.
Son origine dérivée, « intellegere » décrite par l’encyclopédie Larousse comme « L’ensemble des fonctions mentales ayant pour objet la connaissance conceptuelle et rationnelle » ne donne finalement qu’une vague idée de l’intelligence. « Faculté de comprendre », « Etre spirituel », « Acte ou capacité de comprendre » sont listés par le CNRTL dans les différentes références historiques citées. Ces références intègrent également la notion médiévale de « Bonne entente » ou de « Commun accord » ce qui en soi n’est pas surprenant puisqu’effectivement l’intelligence intègre une dimension sociale, sociétale et politique dont l’appréciation pourrait être définie comme le discernement ou la capacité de juger ce qui convient.
Si l’on tente de définir l’intelligence appliquée à la stratégie, on sort finalement du périmètre comprendre pour intégrer la capacité de projeter, d’imaginer. Et là où l’être humain fait appel à son imagination, son intuition, son pragmatisme et les conjugue avec ses connaissances, nous sommes alors à des années lumières des modèles statistiques, des modèles de prédiction utilisés par l’intelligence artificielle. Pour preuve, les activités qu’on attribuait autrefois à l’intelligence, comme la capacité à jouer aux échecs ou au jeu de Go, ne sont plus vraiment des marqueurs de l’intelligence pure depuis que les champions sont des machines.
Remplacés par des machines ?
Cependant, le plus frustrant pour nous ne serait-il pas qu’un jour nous serons remplacés par des machines pour des tâches que nous pensions être les seuls à pouvoir assurer. Si ces machines ne sont pas intelligentes, cela voudra-t-il dire que nous ne le sommes pas davantage ? Ces machines sont le produit de l’intelligence humaine et c’est peut être suffisant pour les qualifier d’intelligentes.
Si nous l’avons fait pour les cols bleus, n’est-ce pas justice que de l’appliquer aux cols blancs ? Les cols bleus se sont adaptés, souvent dans la douleur certes. En revanche je ne suis pas convaincu que les cols blancs soient en mesure de se remettre en question pour évoluer vers d’autres métiers tels que les métiers manuels. L’étude récente de McKinsey & Company permet effectivement de se poser la question. Je vous invite à lire un de nos articles : IA, une transformation annoncée qui traite de ce sujet plus en détail.
En attendant l'AGI
Vous connaissiez déjà l’IA, ou AI, et bien l’AGI, ou Artificial General Intelligence, est la promesse d’une capacité à traiter tous les problèmes qu’un humain normal sait traiter. Là on atteindra vraiment la singularité annoncée par Ray Kurzweil.
L’intelligence artificielle regroupe beaucoup de techniques différentes. Saviez vous que votre tableur préféré vous permet d’en utiliser ? La régression linéaire est une technique qui consiste à faire passer une droite ou une courbe entre des points pour en extraire une loi. Inventée au XVIIIème siècle, la régression linéaire a été le premier algorithme auto apprenant. Les systèmes à base de réseaux de neurones artificiels, ne sont que l’extrapolation multidimensionnelle de cette technique, et vous pensiez que la technique était récente ? En fait, beaucoup de techniques de statistique font partie de la trousse à outil de l’ingénieur en intelligence artificielle. Votre tableur met aussi à votre disposition un solveur, une autre technique d’intelligence artificielle. Il y a bien longtemps, je l’ai utilisé pour la réalisation d’un prototype de gestion de personnel.
Et c’est là que vous avez raison, l’intelligence artificielle n’est pas comparable à l’intelligence humaine. La première fait un appel massif à la statistique alors que le psychologue Daniel Kahneman, lauréat du prix Nobel d’Economie, a montré que le cerveau humain serait plutôt mauvais en statistiques. Cependant, l’important n’est pas la technique mais le résultat.
L’IA d’aujourd’hui est très loin de l’intelligence humaine. Et si effectivement, nous avons les plus grandes difficultés à définir ce qu’est l’intelligence, aussi paradoxal que cela puisse paraître, nous n’avons aucun mal à détecter ce qui n’en est pas. A mon sens, la vraie singularité adviendra quand les techniques actuelles d’intelligence artificielle seront couplées à des techniques, encore à découvrir, d’intelligence sinon humaine au moins vraiment biomimétique. Nous aurons l’occasion d’y revenir quand nous parlerons de technique.
Hugues Sansen et David Latos